mardi 1 septembre 2015

Louise Chandler Moulton (1832-1908) ~ To-Night / À la Nuit

Louise Chandler Moulton (photographe inconnu)
 
 
Bend low, O dusky Night,
  And give my spirit rest.
  Hold me to your deep breast,
And put old cares to flight.
Give back the lost delight
  That once my soul possest,
  When Love was loveliest.
Bend low, O dusky Night !
Enfold me in your arms –
  The sole embrace I crave
  Until the embracing grave
Shield me from life's alarms.
I dare your subtlest charms;
  Your deepest spell I brave, –
  O, strong to slay or save,
Enfold me in your arms !
 
*

Penche-toi sur moi, Ô sombre Nuit,
  Et offre à mon esprit le repos.
  Serre-moi contre ton sein profond,
Et éparpille mes vieux soucis au vent.
Rends-moi le plaisir perdu
  Que jadis mon âme possédait,
  Quand l'Amour était le plus tendre.
Penche-toi sur moi, Ô sombre Nuit !

Enveloppe-moi dans tes bras –
  La seule étreinte à laquelle j'aspire
  Jusqu'à l'étreinte de la tombe
Me préserve des alarmes de la vie.
Je défie tes charmes les plus subtils ;
  Je brave tes sorts les plus profonds, –
  Ô, forte assez pour tuer ou sauver,
Enveloppe-moi dans tes bras !

lundi 4 mai 2015

Burns Singer (1928-1964) ~ "Nothing", "Rien"

            Burns Singer (1928-1964) est encore largement méconnu, malgré la publication de ses poésies complètes en 1970 (édition de W.A.S. Keir) et en 2001 (édition de James Keery).
              Américain élevé en Écosse, il fait des études à Londres puis retourne dans le Massachussets.
             Nothing est vraiment à lire jusqu'au bout.

(Burns Singer en 1958)


           Nothing

They say the experiential
Zero is impossible.
The mind cannot conceive it,
The heart cannot believe it :
That mind meets mind whenever mind
Notions its way through more refined
Lacks of possibility ;
And heart meets heart and mind and hand
Although it cannot understand
More than its own inmensity ;
That every vacuum known to space,
In spite of walls round emptiness,
Must let the heavens' swift particles
Meander through it and displace
Vacuum with vacillation.
But you, my darling, when we meet
It is in a dispassionate
Area outside all relation.
We speak and thus create our silence
Where passion's peace and passion's violence
Combine in an autonomous
State that is not between them nor
Explicable by metaphor.
I am the nothingness of us,
And you are me, and we are two
Demonstrations that nothing is true.


               Rien

Ils disent que l'expérience
Zéro est impossible.
L'esprit ne peut
le concevoir,
Le cœur ne peut
y croire:
Cet esprit rencontre l'esprit
dès que l'espritConceptualise son chemin à travers de plus raffinés
Manque
s de possibilité ;
Et le cœur
rencontre le cœur et l'esprit et la main
Bien qu'il ne p
uisse comprendre
Plus
que sa propre immensité ;
Chacun de ces vides connu de l'espace,
Même si des murs entoure le vide,
Doit laisser
les particules rapides des cieuxFaire des méandres à travers elle et déplacerLe vide avec des vacillations.
Mais
toi, ma chérie, quand nous nous rencontrons
C
'est dans une aire dépassionnée
À l'extérieur de toute relation.
Nous parlons et
donc créons notre silence
Lorsque la paix
de la passion et la violence de la passion
Allient dans un état autonomeCe qui n'est pas entre eux ni
Explicable par la métaphore.
Je suis le néant de nous,
Et
tu es moi, et nous sommes deux
Démonstrations que rien n
'est vrai.


vendredi 1 mai 2015

Christina Rosselli (1830-1894) ~ "Song"

          Christina Rossetti (1830-1894) est née et morte à Londres. Son recueil Goblin Market (1862, que le trouvera ici sur le projet Gutenberg) est d'une beauté mélodique qu'avait relevé Virginia Woolf. Elle vient d'une famille illustre : son père est le poète italien Gabriele Rossetti, sa mère, Frances Polidori, est la sœur de John Polidori, l'auteur de The Vampyre (ici sur le projet Gutenberg) et l'ami de Byron et de Schelley. Son frère est Dante Gabriel Rossetti.
          Nous commençons par traduire une « Chanson ».

(portrait de Christina Rossetti par son frère Dante Gabriel)


                    Song

When I am dead, my dearest,
         Sing no sad songs for me;
Plant thou no roses at my head,
         Nor shady cypress tree:
Be the green grass above me
         With showers and dewdrops wet;
And if thou wilt, remember,
         And if thou wilt, forget.

I shall not see the shadows,
         I shall not feel the rain;
I shall not hear the nightingale
         Sing on, as if in pain:
And dreaming through the twilight
         That doth not rise nor set,
Haply I may remember,
         And haply may forget.


                Chanson

Quand je serai morte, mon chéri,
           Ne chante pas de chanson triste pour moi ;
Ne sème pas de roses sur ma tête,
           Ne plante pas de cyprès ombragé :
Sois l'herbe verte au-dessus de moi
           Et l'averse et la rosée humide ;
Et si tu veux, souviens-toi,
           Et si tu veux, oublie.

Je ne verrai pas les ombres,
           Je ne sentirai pas la pluie ;
Je n'entendrai pas le rossignol
           Chanter, comme s'il souffrait :
Et je ne rêverai pas dans le crépuscule
           Qui ne montera ni ne descendra,
Peut-être je me souviendrai,
            Et peut-être j'aurai oublié.

mardi 28 avril 2015

Théodore de Banville, "Hélène" (Les Exilés)

Théodore de Banville (1823-1891) souffre encore d'un mépris à l'emporte-pièce. J'ai toujours en tête la bêtise de Semprun qui, dans l'introduction d'une anthologie de la poésie française publiée un jour chez Gallimard, affirmait qu'on ne se souvenait de lui que parce que Rimbaud lui avait envoyé ses premiers poèmes...
Et, Semprun, pourquoi le connaît-on ? Juste parce qu'il est issu d'une famille riche qui avait de bonnes relations...
Quand je flâne sur Internet, je rencontre par dizaines des artistes de la trempe de Michel-Ange, Caravage, Picasso, etc. Pour les poètes, il faut l'avouer, c'est plus difficile : l'époque est à l'image, plus personne ne lit, même ceux qui écrivent. Les plus lus nous semblent les plus mauvais, mais qui sommes-nous pour juger ? L'accès illimité crée de nouveaux critères, et même plus : un nouveau paradigme d'appréhension.
Qu'on relise Théodore de Banville, les oeuvres complètes. On n'en donnera ici que des extraits très personnels.

*

Hélène a dix ans ; l'or de sa tête embrasée
Baigne son col terrible et fier comme une tour.
Grande ombre, dans la nuit elle rugit d'amour,
Près d'elle un dur chasseur marche dans la rosée.

Elle ouvre au clair de lune, ainsi qu'une épousée,
La pourpre où de son sein brille le blanc contour,
Et les tigres font voir aux petits du vautour
La fille de Tyndare éprise de Thésée.

Mais près de l'Eurotas aux flots mélodieux
Ils passent, chevelus et forts comme des dieux.
"O tueur de lions, dit la princesse blonde,

Guerrier toujours couvert de sang, tu dormiras
Sur mon sein ; porte-moi dans la forêt profonde."
Et le jeune héros l'emporte dans ses bras.

(juillet 1860)